Arpètes de la P69

P69 un jour, P69 toujours

Parcours de Thierry LECLERE (cl 9)

Je suis né dans une petite ferme de Normandie, à deux pas d’Utah Beach. J’ai débuté ma scolarité à 6 ans en pension dans une famille à Ste Mère Eglise puis ce fut l’internat à St Lô.

Les vacances se passaient à la ferme entre les travaux agricoles et la totale liberté de longues balades dans la nature et sur la plage. Cette liberté, les commémorations du débarquement et les films d’aventures ont très tôt développé mon envie « d’ailleurs ». Alors, lorsque le BAI de Caen est passé dans mon collège, j’ai été victime des affiches sans vraiment savoir ce qui m’attendait. 

Le trajet vers Saintes a été mon premier long voyage hors de Normandie. Je n’ai pas été dépaysé par l’ambiance, la camaraderie et même la discipline car je n’avais fréquenté des établissements plutôt stricts, tout comme l’était mon père. Le temps passait rapidement, avec quelques sorties pour les rencontres de tennis de table et les sorties ( selon la moyenne ) à Saintes mais les moments de solitude me manquaient énormément. Les travaux pratiques ( limes, électricité… ) m’inspiraient assez peu et j’avais du mal à me projeter vers un métier dont je ne connaissais rien. Au bout d’un an, j’ai émis le désir de quitter l’école. Suite au refus de mon père de me laisser partir, j’ai eu une entrevue avec le Cdt Deliot qui m’a ouvert des horizons plus lointains à condition d’être patient et avec beaucoup de volonté. Malgré un échec au CAM ( 11.99, il fallait 12.00 ) et une sortie Caporal, j’ai été orienté vers Joinville.

Les 6 mois à Joinville et la spécialisation IBE sont passés à très grande vitesse car la dose de travail était importante mais les sorties, avec un petit pied à terre, permettaient d’évacuer. Ne connaissant pas bien l’Armée de l’air, l’arrivée programmée du Jaguar m’a fait choisit la Base de Toul.

C’est ainsi qu’en février 75, 4 arpètes: Noé, Larquey, Alexandre et moi-même sont à arrivés à Toul. Joli port de pêche, le dimanche après midi que des biffins en ville et la route en taxi nous a paru une éternité ( 20 km en pleine campagne ) pour être accueilli par la PC d’un F100. La répartition, comme toujours, s’est faite en fonction du classement, 2 en escadron, 2 au Germas, mais très peu de temps après, Alex est venu me rejoindre au 2/11, pour si je puis dire une longue vie commune.

Ces 5 années au 2/11 c’est:

–  La débrouille sur le F100, pas de formation autre que sur le tas, une doc en anglais et la barre à mine pour résoudre les problèmes d’échangeur d’air. Cela m’a enfin permis de voir « ailleurs » avec une relève avion à Djibouti en Transall ( mais c’était tellement mieux qu’en C135, réservé aux chefs et aux anciens ), escale au Caire, vie en équipage….

–  Le passage sur Jaguar à l’été 76, sous la canicule à l’ETIS, les campagnes de tir à Cazaux et le début des opérations en Afrique avec 3 détachements à Dakar et 3 à N’Djamena en 2 ans et demi, un échange escadron à Vicenza. La visite médicale « siège » m’a permis de faire quelques vols en place arrière. La grande vie pour un célibataire toujours prêt à partir.

–  Et le frisson, en février 1979, c’était la guerre à N’Djamena, les 2 factions se tiraient dessus en ville, les AD 4 bombardaient les rebelles aux abords et il fallait évacuer. Tout le détachement Jaguar est parti se mettre à l’abri à Libreville et seuls 6 volontaires sont restés pour l’évacuation du matériel. J’en faisais partie. Nous dormions à la piste Jaguar, les réfugiés occupaient la base, nous avions 2 jeep et il fallait subvenir à notre ravitaillement ( soit au mess, soit à l’abattoir de Farcha ) c’était barbecue tous les jours et le chargement des Transall lorsqu’il restait un peu de place, les évacuations restant prioritaires. La consigne était de traverser le Chari vers le Cameroun si cela se passait très mal. Nous avons eu droit à un petit courrier du Ministre de la Défense mais il est surtout resté le souvenir d’une période exaltante.

– Au cours de mes détachements au Tchad, J’ai eu la chance de faire plusieurs convoyages oxygène à Abidjan et surtout un vol en Transall avec atterrissage sur terrain sommaire et je me suis dit que si un jour, je terminais pilote ( ce qui me semblait un défi très très lointain ) je ferais « ça » et c’est devenu mon nouvel objectif.

– Mais il fallait aussi penser au moyen d’y arriver. Ce furent les cours par correspondance avec le CNTE  pour attraper un niveau Bac en 3 ans, puis la préparation en un an au concours EMA tout cela avec la chance d’une réussite très bien classé aux tests BS. Question difficile du responsable instruction de la base: voulez vous faire le BS ou les EMA ? Réponse, les 2 mon Capitaine, on ne sait jamais. Si bien que parti au BS fin 79, je me suis absenté  pour le concours écrit en janvier à Bordeaux. Frais breveté BS, ce fut l’oral à Salon et la sélection en Vol sur CAP 10 à Aulnat. Si bien que fin mai 80, tout en poche j’ai eu l’impression de sortir d’un tourbillon. Heureusement, il y avait le défouloir de la course à pied avec Alex, combien de terrains boueux ou goudronnés nous ont vu passer. Un petit détachement à Dakar pour finir et me voici à Salon.

La première année à Salon, c’est la suite du tourbillon: entraînement militaire, exercices, sauts en parachute, cours théorique et les premiers vols sur CAP 10. J’avais fait pilote un peu par défi et là, j’étais face aux buts.

La deuxième année à commencé par une phase de bourrage de crâne et ce fut le Fouga. 12 vols, lâcher, vol de nuit, vol en patrouille, tout le temps en test et un moment un peu difficile. Convoqué par le commandant d’escadron, peu avant l’orientation chasse/transport, je lui avoue que je veux faire du Transall, incompréhension totale, vous faites une croix sur votre carrière et j’en passe et des meilleures… La chance est au rendez vous, il fallait 5 pilotes pour Avord au mois de juillet et il n’y a pas d’autres volontaires parmi ceux qui avaient fini la progression, donc ce sera le Transport.

Avord: rapide, comme d’habitude bourrage de crane et des figures dans le ciel ou plutôt sur les balises VOR, ADF, les vols aux instruments sur Dassault 312, l’ancêtre. 6 mois et 220 h plus tard, c’est le macaron le 22 décembre 1982 et l’amphi: le Transall à Evreux, j’avais choisi Orléans mais 2e, il fallait mixer les affectations, je ne l’ai jamais regretté.

Toulouse: bourrage de crâne, les petits ronds sur les balises et surtout les premiers voyages en France et un grand pour le test final: une relève avion à Djibouti avec nuit au Caire cette fois-ci.

Enfin, juillet 1983, l’arrivée à Evreux, jeune Lieutenant et Manta qui se déclenche, tu es jeune, prends donc la semaine base, tu auras tout le temps. Trois mois avec un instructeur pour découvrir l’ensemble des missions et une phase de murissement et me voici pilote opérationnel ( PO ) puis commandant de bord en octobre 1986, moniteur en avril 1987, chef de peloton ( leader de + de 4 avions toutes missions ) et moniteur ravitaillement en vol, ouf !!!! fin provisoire des qualifications.

Je pense que ces 5 années au Béarn ont été les plus belles années de ma carrière opérationnelle. Beaucoup de détachements en Afrique: Tchad, Centrafrique, Gabon, Sénégal, Djibouti, d’autres au Sinaï, en Nouvelle Calédonie. Et surtout les BA, voire TBA, les terrains sommaires en herbe, latérite ou sable à peine balisés de cailloux blancs. Des voyages souvent imprévus et des missions qui ne se passent pas comme programmées tel cet aller retour Afrique en 5 jours qui se terminera en 3 semaines et 120 h de vol.

Alors que je pensais profiter de mon poste d’OSV pour 2 ans, je suis désigné volontaire d’office pour encadrer 2 promos d’élèves à Salon. Je n’étais pas volontaire mais,  » c’est un poste d’avenir et après vos 2 ans à Salon vous reviendrez en escadron tactique à Evreux ou Orléans, et dans tous les cas, il n’y a que vous « . Comme j’avais le choix, j’y suis allé et je me suis retrouvé avec des élèves à peine plus jeunes que moi à faire de l’enseignement militaire, des exercices évasion et à sauter du Transall en tête de ligne, le chef devant bien sûr. J’allais faire mes petites périodes ( trop courtes ) à Evreux pour maintenir mes qualifications, deux beaux voyages de fin d’année: Portugal-Maroc et Espagne-Egypte en Transall. Ce furent une belle année et 1/2 car après cela s’est gâté. En janvier 1990, je suis au tableau de Commandant et le conseiller PN m’appelle pour m’informer que je suis désigné Chef des opérations du Dunkerque sur Gabriel à Metz. Voilà comment la promesse de revenir en escadron tactique se révèle être respectée. Je m’insurge mais, la mission tactique du Gabriel requiert quelqu’un ayant une bonne expérience du Transall notamment du ravitaillement en vol et une fois de plus je suis le seul apte à ce poste. Donc c’est le retour en Lorraine, plutôt mécontent.

Arrivé fin août à Metz, quelques jours à Evreux pour retrouver toutes mes qualifs et la formation C 160G sur le tas et c’est parti pour 4 ans d’ennui au Gabriel. Sadam Hussein certainement mécontent de ma mutation et pour se venger, envahit le Koweit. Le tout jeune Gabriel, à la pointe de la technologie devient indispensable et le chef des ops que je suis, doit monter le premier détachement Gabriel à l’étranger. Surtout, il faut qualifier rapidement tous les pilotes au ravitaillement en vol et seul moniteur, je ne pose pas. Pendant que le seul C160G est dans le Golfe, l’autre est à Clermont en visite, je pars à Evreux faire des aller-retour en 2 jours pour amener le matériel sur le théâtre d’opérations. Puis ce fut mon tour de faire mes deux mois à Al Ahsa. Au déclenche-ment des opérations, il n’y a plus de place pour nous, nous sommes envoyés à Djibouti.

C’est la guerre mais les affaires reprennent. A nouveau le conseiller PN, il me propose d’aller commander l’ETOM de Dakar à condition que je transforme tous les pilotes et au moins un moniteur au ravitaillement en vol avant mon départ, j’accepte. Trois jours après, vous préférez Dakar ou Pointe à Pitre, j’opte pour les Antilles. Mon séjour à Metz n’aura duré que 11 mois mais ce fut une année très enrichissante professionnelle-ment avec prés de 600 h de vol.

Les Antilles, ce n’est pas tout à fait comme sur les cartes postales mais c’est tout de même très bien. La mer est chaude, les accras et le tie punch à températures idéales. Notre zone de chalandage comme on dit, me verra aller porter la gloire des ailes françaises ( bof, c’est pas si glorieux que ça surtout lorsque la nuit est tombée ) au Brésil, Equateur, Colombie, Mexique, Etats Unis …et une grande partie des Antilles et enfin la Guyane, car le Transall est le seul gros porteur pouvant se poser sur les terrains peu équipés de la Guyane, pour, notamment, transporter des engins de travaux publics de toutes sortes.

Il faut penser au retour et toujours le conseiller PN. Il doit m’en vouloir, il me propose successivement: porte serviette d’un Amiral à l’Ecole Militaire à Paris, conseiller transport au Corps franco-allemand à Strasbourg et enfin, ce que j’accepte, responsable des PN à la gestion personnel du COTAM. je m’occupe des sorties d’écoles et de l’armement des escadrons en pilotes, navigateurs et mécaniciens d’équipages et ce sont 2 échecs à l’école de Guerre que je n’avais pas préparé sérieusement.

Après 2 années à Villa, et Lieutenant colonel, c’est enfin le retour au Béarn à Evreux en 1995 pour combler un trou d’un an. Cette année me permettra d’être détaché à l’OTAN à Naples pendant 11 semaines et de faire mon dernier séjour en Afrique à Libreville et Bangui comme chef du Groupement de transport ( 14 avions C 130 et C 160 ) pour assurer l’évacuation des ressortissants étrangers de Centrafrique.

Après le Béarn, il ne m’ont pas oublié, c’est l’Astarte pour 3 ans. La mission n’est pas très captivante avec un avion qui est limité aux terrains militaires français et le secret qui entoure les FAS. Deuxième entrevue déterminante, proposable Colonel, le commandant des FAS, après m’avoir passé beaucoup de pommade, me demande si je n’envisage pas de quitter l’Armée de l’air. C’est un peu la stupeur, cette idée ne m’avait jamais effleuré et, comme d’habitude après l’entrevue « standard », il me conseille de prendre rendez vous avec le conseiller PN. Comme tout est bien fait, c’est lui qui me contacte. Donc, Balard. Après m’avoir demandé ce que j’aimerais faire après l’Astarte, c’est d’accord pour second de la base à Tahiti, il me présente les intérêts d’un départ anticipé et me dit que l’Armée de l’air est prête à m’aider, « passes donc les premiers certificats du pilote de ligne, on reparlera l’année prochaine ».

Cela chemine doucement, en fait pas si doucement que ça, car 2 ans après, j’ai passé mes 14 certificats théoriques et mes 3 examens en vol, et j’ai une promesse d’embauche en poche. Je crois que le moment le plus difficile fût d’apporter ma demande de mise à la retraite au commandant de base.

Début juillet 1999, je laisse le commandement de l’Astarte à 10 h et à 14 h, je suis en salle de cours à Orly pour le début de ma qualif ATR. Je ne suis que depuis 18 mois chez Air Atlantique, basé Nantes, chef des pilotes, lorsqu’en décembre 2000, le chef de secteur ATR de Britair me contacte pour me proposer une place de Commandant de bord ATR basé Rennes. J’accepte bien sûr car si je me plaisais beaucoup chez Air Atlantique,  ( elle disparaitra en 2002 ), petite compagnie à taille humaine, 6 ATR et une cinquantaine de pilotes, Britair est une filiale d’Air France avec 40 avions ATR et CRJ. Début 2003, je fais ma qualif réacteur sur CRJ après une mutation d’office à Lyon.

Ces 16 années chez Britair auront passé très vite et, même si les vols sont loin d’être aussi passionnants que ceux sur Transall, voir le paysage de mon bureau là haut reste magnifique.

Lorsque vous lirez ce pavé, je suis désolé de vous avoir infligé ces longueurs, j’aurai posé le CRJ pour la dernière fois et fermé les volets du bureau. Comme cette vie active aura été passionnante. En quittant ma petite ferme de Normandie, je n’aurais jamais imaginé vivre autant de choses et réaliser autant de rêves « d’ailleurs ». C’est en grande partie grâce à l’Armée de l’air car si elle demande beaucoup et elle sait aussi rendre et je souhaite à tous les jeunes arpètes de pouvoir vivre leurs rêves comme j’ai pu le faire.

Petite anecdote pour finir: J’ai effectué mon premier vol en tant que commandant de bord sur C160 avec l’Aspirant Dessert ( le frère de … ) le 22 mai 1986 et j’ai effectué mon dernier vol le 29 février 2016 avec l’OPL Dessert ( le même frère de … , non ce n’est pas la blonde ).