Je n’ai jamais envisagé de faire une carrière militaire et si j’ai passé le concours de Saintes c’est sous la pression de mon père, agent d’entretien dans un lycée et qui avait cinq enfants à élever. Peu motivé, je rate le premier concours qui aurait pu me permettre d’intégrer la P68.
Lors de ce concours et du voyage en train, je fais la connaissance de trois camarades de mon collège. L’un d’eux m’invite à venir le voir lors de sa première permission et je repasse le concours dans la foulée cette fois-ci de mon propre chef et avec la volonté de le réussir.
J’arrive à Saintes le 10 janvier 1972, quelques jours avant mes 16 ans, tout de suite, plongé dans l’ambiance militaire, perception d’un paquetage, déplacement en section, passage chez le coiffeur.
Je me souviens de notre première solde au bout de 3 semaines, 12 francs, une misère car le billet de train pour revenir en Bretagne coûtait le double.
La première année nous ne quittons la base que pour les vacances. Je voulais faire de l’aviron ou du canoë kayak mais une double scoliose me l’interdit.
Certains éducateurs craignant l’oisiveté trouvent de bons motifs pour nous occuper le week-end à différentes corvées. Lorsque je ne suis pas collé, je m’inscris aux sorties récollections du Père Juju, l’aumônier de la base. Cela fait du bien de sortir de la base et d’aller prendre l’air pur sur la plage de Saint Palais ou à la campagne.
La seconde année est un peu plus cool car nous avons des quartiers libres et l’auto-stop marche assez bien.
A la fin de ces deux ans ; à l’amphi lorsqu’on me demande ce que je voudrais comme spécialité, comme je suis plutôt bien placé dans la promo je choisis une spécialité «Télec», on me répond trop faible en électricité, alors je choisis «Elec Bord» et à ma grande surprise on me répond d’accord.
Contrairement à ce que nous avait prédit notre prof de français, M Martin, le séjour à Rochefort se passe plutôt bien.
A la fin de Rochefort n’ayant aucun impératif régional ni aucune préférence sur le matériel je choisis Toul Rosières comme affectation en m’attendant à travailler sur de vieux avions Américains.
Après quelques mois sur les vieux F100 de l’après-guerre et un stage d’apprentissage à St Dizier mon escadron passe le premier à l’avion moderne « le Jaguar ».
De temps en temps je retrouve ma Bretagne natale ou je passe mon permis de conduire et c’est ainsi que je rencontre Eliane celle qui est mon épouse depuis 77.
Mon escadron appartenant à la force d’action rapide j’ai l’occasion de participer à quelques missions de prestige en Afrique ; Djibouti, Côte d’Ivoire, Togo. Lors d’une de ces mission tout le détachement est invité à manger à la table du Président de Côte d’Ivoire Houphouët-Boigny dans son village natal de Yamoussoukro.
Quatre mois après mon mariage le front Polisario commence à faire parler de lui, et notre escadron qui fait partie de la FAR passe en alerte, le premier détachement part pour Dakar en novembre pour des opérations sur la Mauritanie.
L’un des Jaguars étant resté en panne, je suis envoyé à Istres sans même un paquetage avec quatre mécanos d’autres spécialités pour la réparation et remise en vol de l’avion.
Deux jours plus tard nous rejoignons nos collègues à Dakar pour notre premier détachement outre mer, pour ma part avec un short, une chemise et un maillot de bain que j’ai pu me procurer à Istres. Au bout de deux semaines, je suis de retour en France, pour repartir deux semaines plus tard à Dakar pour relever mes collègues qui rentrent pour passer le 1er de l’an en France.
Dans les mois qui suivent je participerai à un détachement sur deux ou trois, pour des périodes de deux mois à la fois, jusqu’à ce que les autres escadrons de la 11ème et de la 7ème de Saint-Dizier viennent nous épauler car les missions deviennent de plus en plus fréquentes avec le Tchad puis le Gabon.
Nos missions durent entre un mois et demi et deux mois et cela pèse de plus en plus sur ma vie familiale car je suis papa depuis 79 ; en 82 j’obtiens ma mutation pour Cazaux.
A mon arrivée à Cazaux on me propose tout d’abord un poste à l’ERT que je refuse, je n’ai pas suivi une filière technique pour être pailleux. Finalement j’ai un poste à l’annexe du CEAM où l’on expérimente de nouveaux systèmes d’armement, deux ans plus tard je me retrouve chef du service électricité et sécurité sauvetage.
Nous travaillons successivement sur différents avions ; Mirage F1, Jaguar, Mirage 2000 et nous avons deux avions de liaison un Fouga et un Alpha-jet.
J’ai l’occasion, comme passager, de faire quelque vols de liaison sur Fouga et des vols d’essais sur Alpha-jet dont un avec une décompression brutale en altitude, qui m’a donné l’impression d’avoir pris un coup de poing dans l’estomac.
Je fais construire une petite maison en dessous du bassin d’Arcachon dans un petit village. Habitant à une trentaine de km de la base je profite dès le printemps de faire le trajet à vélo.
L’un de mes collègues de travail me propose de participer aux 100 km de Millau, une course à pied mythique. Nous nous entraînons ensemble tous les jours pendant un mois et demi à raison de 12 km par jour dans la semaine et le week-end une sortie de 30 km.
Et nous voilà partis en trafic pour Millau à quatre de la base ; trois coureurs et un accompagnateur à vélo. Le départ est à 13h pour une arrivée en pleine nuit. Il nous faudra un peu plus de 11h pour boucler les 10 km. La nuit suivante pas moyen de dormir car les muscles sont saturés de toxines et douloureux, mais trois jours plus tard c’est la pleine forme.
Au début des années 90, trois années d’affilée je participe avec succès aux 100 km de Millau.
Ayant dépassé quinze ans de service je commence à me préoccuper de ma reconversion en proposant ma candidature dans toutes les entreprises qui touchent à la réparation des avions et même quelques compagnies de transport.
J’obtiens quelques résultats dans des aéroports et aussi dans de petites PME locales mais aucune proposition ne me satisfait.
J’écris aux anciens combattants pour concourir pour des postes techniques en catégorie B.
Je suis reçu au concours de France-Télécom pour un poste à Paris et dans l’Aviation Civile pour un poste d’électrotechnicien dans le sud-ouest.
Début 1993 je quitte l’Armée de l’air pour l’Aviation civile et après un passage de six mois à l’école nationale de l’aviation civile à Toulouse je prends le poste de chef de centrale électrique à l’Aéroport de Tarbes, Ossun, Lourdes. C’est un petit aéroport et nous ne sommes que deux à la centrale, nous nous occupons aussi de la tour de contrôle et du balisage qui est refait entièrement lors de mon affectation à Tarbes.
En 1995 ma mère étant gravement malade je demande ma mutation à Brest au Centre en Route de la Navigation Aérienne de l’Ouest.
Malheureusement ma mère est décédée lorsque je suis muté l’été 1996.
Nous avons à présent trois enfants et ceux-ci qui se laissaient vivre dans le sud ouest découvrent un niveau d’étude légèrement supérieur et sont obligés de donner un coup de collier pour ne pas être coulés.
Pendant quelques temps je continue le vélo, mais la route du travail étant trop dangereuse je m’oriente avec ma femme et mes enfants vers le badminton que nous pratiquons toujours depuis.
Je découvre au CRNA /O un centre pilote équipé de matériels modernes en perpétuelle évolution et à la Centrale électrique un service de huit personnes maîtrisant parfaitement les installations.
Quelques temps après mon arrivée, la centrale électrique est refaite entièrement , de nouveaux groupes électrogènes, de nouveaux onduleurs, de nouveaux tableaux de distribution, de nouvelles alimentations 24V et 48V, des nouvelles climatisations, un nouveau système de détection incendie, une nouvelle supervision que nous apprenons à programmer nous-même.
Nous programmons aussi tous les automates qui commandent les climatisations et tous les appareillages que nous surveillons en temps réel.
La supervision évolue en capacité à mesure que les besoins augmentent car le centre est toujours en perpétuelle évolution : outils de contrôle aérien, radio, radar, système informatique, agrandissement des bâtiments et ajout de climatisations pour différentes salles.
Ayant toujours été intéressé par les dépannages électriques et mécaniques je m’oriente aussi par curiosité vers les cartes électroniques car nous avons régulièrement des pannes sur les alimentations de divers appareillages.
Les composants électroniques de base comme les condensateurs, résistances, diodes, triacs, transistors me deviennent familiers.
On me confie toutes sortes d’appareils à réparer, aspirateurs, micro-ondes, machines à café, machines à laver, plaques à induction, nettoyeurs haute pression, et même des téléviseurs à leds.
Je répare aussi les jouets que mes petits-enfants cassent régulièrement sans dramatiser. « C’est pas grave Papy répare ».
Je décide de prendre ma retraite à 64 ans, la covid 19 avance mon départ de deux semaines car je me retrouve confiné comme tout le monde au mois de mars 2020 avec un printemps superbe que je passe dans mon jardin.
Mes projets pour la retraite sont un peu suspendus avec la Covid 19. J’espère reprendre mes activités lorsque nous serons vaccinés ; chorale, badminton, ballades en camping-car, m’impliquer dans un repair-café et reprendre le vélo de route à la place du vélo d’appartement que je pratique actuellement.
Quarante neuf ans ont passé depuis l’arrivée à Saintes, chacun a suivi son chemin depuis, jalonné de différents choix, certains faciles, d’autres douloureux, nous sommes devenus vite des adultes, émancipés, complètement autonomes à 18 ans. Le passage de notre promo à Saintes n’as pas été si facile ; en effet sur les 300 que nous étions, avec les démissions, les redoublements et les exclusions, seuls 180 ont pu aller au bout, nous pouvons être fiers d’en faire partie. J’espère que l’année prochaine nous serons un maximum à nous retrouver pour nos cinquante ans.
A bientôt Jacques